QUESTIONS et RÉPONSES SUR LA RÉMUNÉRATION DES STAGES

Si des stages ne sont pas rémunérés, c’est qu’il n’y a pas d’argent pour : le domaine n’est sûrement pas rentable, ou peut-être que ce n’est pas quelque chose d’utile à la société.

Il peut être tentant de croire que si les choses sont ainsi, il y a une raison valable qui l’explique. Hélas, les salaires ne sont pas déterminés par des lois naturelles ou par des nécessités économiques, mais sont plutôt le résultat de rapports sociaux inégaux. Les stages non rémunérés existent parce que nous n’avons pas encore lutté contre cette forme d’exploitation.

La majorité des stages sont dans le secteur des soins, ce qui est la principale dépense du gouvernement provincial. Comme la rémunération des médecins au dépens des infirmières, c’est un choix idéologique — le secteur public a des stages non rémunérés, alors que le gouvernement offre des crédits d’impôt pour les stages du secteur privé.

C’est quoi la différence entre la rémunération et la compensation financière pour les stages ?

Une compensation financière est un montant d’argent fixe, sans égard au nombre d’heures de stage effectuées, qui vise à compenser la difficulté d’être privé.e d’une source de revenu d’un autre emploi pendant la période de stage. Une telle compensation a été accordée dans les deux dernières années aux internes en psychologie et aux stagiaires du stage final en enseignement selon des paramètres différents. Elles ont en commun de n’accorder aucune protection des conditions de travail en milieu de stage et nul accès aux recours légaux pour les stagiaires. De plus, ce montant d’argent n’est pas garanti dans le temps. La compensation offerte aux internes en psychologie doit par exemple être renégociée tous les 3 ans. À l’Université de Sherbrooke, les montants prévus se sont avérés insuffisants et les solutions proposées par l’administration sont outrageantes: diviser le montant parmi tous.tes les stagiaires ou tirer au sort pour déterminer qui y aurait accès. Il est également faux d’affirmer que le principal avantage d’une compensation est d’être un montant non imposable: celle accordée pour le stage final en éducation est imposable, en plus d’être considérée dans les seuils de l’aide financière aux études.

Une rémunération, c’est plutôt un salaire versé en reconnaissance du travail accompli au cours de chaque heure de stage. En plus de reconnaître les stagiaires comme des travailleur.ses effectuant un travail, la rémunération de tous les stages assurerait à tous.tes les stagiaires les protections minimales inscrites dans la Loi sur les normes du travail, en ce qui a trait aux conditions de travail et l’accès à certains recours légaux. Le statut de travailleur.se permettrait également aux stagiaires de s’organiser entre iels et la possibilité de se syndiquer afin d’établir un rapport de force vis-à-vis de leur employeur pour négocier leurs conditions de travail, notamment leur salaire.

Qui va payer pour le salaire des stagiaires ?

On le sait, plusieurs domaines qui emploient des stagiaires sont sous-financés. C’est le cas notamment des organismes communautaires et des organismes culturels. Pourtant, est-il juste de reléguer le fardeau du sous-financement aux stagiaires qui doivent combler les manques à gagner par leur travail gratuit? Il faut reconnaître que le travail des stagiaires a une valeur. Dans les organismes communautaires, les stages devraient être financés à 100% par le gouvernement. Et nous pensons qu’il en a les moyens! C’est un fait, l’économie va bien pour les entreprises et pour le gouvernement. Le taux de chômage est historiquement bas, et les Libéraux ont passé l’année à se vanter de la bonne santé financière de l’État. Au mois de juin, le gouvernement annonçait un surplus de 2,4 milliards de dollars pour l’année en cours. Deux-virgule-quatre-milliards! Y’a d’la marge pas juste un peu!

Cependant, la rémunération des stages n’est pas une question de moyens, c’est une question d’équité. À l’heure actuelle, l’État paie un plein salaire aux stagiaires de la fonction publique et des sociétés d’État, en plus de subventionner les stages du secteur privé. En effet, 50 M$ ont été versés par l’État aux entreprises privées sous forme de crédits d’impôt pour soutenir la réalisation de stages rémunérés. À côté de ça, des milliers de stages dans les services publics ne sont pas rémunérés en psychoéducation, en enseignement, en soins infirmiers ou en travail social. En rétribuant les stages de ces secteurs, le gouvernement contribuerait efficacement à revaloriser les professions des réseaux de l’Éducation, de la Santé et des Services sociaux…et les femmes qui y travaillent !

Je comprends qu’on paie les stages de travail, mais pas les stages d’observation!

Une des choses que nous a apprise la semaine de grève de l’automne, c’est que la confusion règne dans le fonctionnement des stages et ni le gouvernement, ni les institutions scolaires ne peuvent prétendre exercer un contrôle précis sur leur teneur. Il n’existe donc pas de définition unique ni claire de ce qu’est un stage d’observation versus un stage de prise en charge, terminologie qui n’existe d’ailleurs pas dans tous les programmes. Finalement, la charge de travail exigée de la part des stagiaires repose bien plus sur le milieu qui emploie des stagiaires que sur la définition du stage.

Plus encore, s’il existe une distinction entre les différents moments de formation pratique, cette distinction est la même que celle qui existe dans la formation d’un.e nouvel.le employé.e. Lorsque l’on débute un emploi, il est attendu que la complexité et l’intensité du travail augmentera graduellement pendant les premières semaines, ce qui peut parfois impliquer d’observer un.e collègue plus expérimenté.e. Pourtant, chacun de ces moments de formation est payé par l’employeur! La multiplication des stages et l’augmentation de leur durée sont donc des façons de transférer le fardeau de la formation aux stagiaires qui doivent assumer l’ensemble des coûts qui y sont liés, en plus d’effectuer le travail gratuitement.

Je crois que les étudiant·e·s des milieux médiatique et culturel ne devraient pas s'attendre à être payé·e·s ‒ c'est comme ça que ça fonctionne dans ces industries!

Encore une fois, la question se pose : les choses sont-elles ainsi parce que c’est souhaitable, voire inévitable, ou parce que nous héritons des inégalités sociales constituées historiquement? La non-rémunération des stages dans le milieu de la culture ou de la communication témoigne d’un problème d’ordre structurel qui dépasse largement la question de la rémunération des stages. Présentement, il faut faire des sacrifices énormes pour pouvoir poursuivre une carrière dans ces domaines, ce qui contribue à en exclure les personnes issues de milieux défavorisés. Une première étape pour pallier à cette discrimination économique serait de rémunérer leurs stages.

Je crois qu’il serait mieux de militer pour la gratuité scolaire.

Certes, la gratuité scolaire serait bénéfique pour l’ensemble de la population étudiante. Nous ne sommes aucunement opposé·e·s à cette revendication, bien au contraire! Ce sont deux enjeux distincts, mais non-exclusifs : alors que la gratuité scolaire vise à accroître l’accessibilité des études, la rémunération des stages veut mettre fin au travail fourni gratuitement par les étudiant·e·s durant leurs stages. Qu’est-ce que ces deux revendications ont en commun ? Elles s’attaquent directement aux inégalités reproduites par le système d’éducation !

Sur la grève

C’est quoi une grève générale illimitée ?

Une grève générale illimitée (GGI), c’est, comme toute grève, un arrêt volontaire et collectif des moyens de production ayant pour objectif la défense des intérêts et la réalisation des revendications d’un groupe — par exemple, le fait, pour les stagiaires, de décider de cesser les activités reliées à leurs stages afin de revendiquer la rémunération de ces derniers et la reconnaissance de leur statut de travailleur.se. Une telle grève devient générale et illimitée lorsque la plupart des étudiant.es d’un campus, d’un programme ou d’une institution scolaire y participent, et ce, pour une durée qui n’est pas fixée à l’avance.

En ce qui concerne la campagne pour la rémunération de tous les stages, la GGI représente le moyen le plus efficace de réaliser la revendication des étudiant.es en ce qu’elle leur permet de renverser le rapport de force qui les opposent à l’État, notamment par le blocage d’une partie significative du système d’éducation et, surtout, par les implications économiques majeures de la grève des stages. En effet, la grève des stages implique le débrayage de milliers de stagiaires, qui cesseront ainsi de soutenir gratuitement les services publics et communautaires pour une durée illimitée. Cet arrêt de travail dans des centaines de milieux aura des impacts importants et immédiats qui forceront l’État à reconnaître la valeur du travail des stagiaires.

Comment on décide d’entrer en grève générale illimitée ?

La décision d’entrer en GGI est prise lors d’une assemblée générale (AG) de grève, instance décisionnelle ouverte à tous.tes les étudiant.es membres d’une association étudiante. Cette décision n’est pas à prendre à la légère. Pour encourager la participation du plus grand nombre, un travail de mobilisation soutenu doit être effectué au préalable et la date de l’AG annoncée le plus tôt possible pour que les étudiant.es puissent faire les arrangements nécessaires afin de se libérer pour y participer. Une AG de grève est le lieu tout désigné pour partager les informations, poser des questions, aborder les inquiétudes, planifier des actions et discuter des stratégies et des revendications. Si une telle assemblée peut être longue, les échanges et les débats qui s’y tiennent sont nécessaires afin que tous.tes puissent prendre une décision éclairée.

La GGI n’est cependant pas effective dès qu’un mandat en ce sens est adopté. Pour coordonner l’entrée en GGI et s’assurer qu’aucune association ou région ne fait cavalière seule, un plancher de grève est fixé dans le mandat. Dans le cas qui nous concerne, le plancher discuté et adopté dans les plans d’action jusqu’à présent est de 20 000 étudiant.es en grève dans 3 régions administratives. Dans un court délai suite à l’atteinte du plancher, une assemblée générale de déclenchement de grève doit être tenue pour déterminer le moment exact d’entrée en GGI. Par ailleurs, si une GGI a une durée indéterminée, elle doit toutefois nécessairement être reconduite par les étudiant.es dans un intervalle donné, généralement une semaine. Cela implique la tenue régulière d’assemblées générales, afin de discuter du déroulement de la grève, coordonner les actions à venir et valider l’atteinte des objectifs déterminés par la grève.

Je suis d’accord pour le salaire aux stagiaires, mais pourquoi faire la grève ?

En effet, il existe une diversité de moyens pour faire connaître une revendication. On peut penser aux pétitions, aux actions d’éclat ou au lobbying. Depuis près de trois ans maintenant, des stagiaires s’organisent dans les campus afin d’imposer la rémunération des stages comme enjeu incontournable et central au mouvement étudiant. Des représentant.es du gouvernement et les administrations collégiale et universitaire ont été interpellé.es, des lettres publiques ont été diffusées, en plus des nombreuses actions, journées de grèves ponctuelles et rassemblements qui se sont déroulés dans plusieurs régions. Dans la perspective d’augmenter la pression sur le gouvernement, un plan d’action conduisant à une grève générale illimitée à l’hiver 2019 a été adopté par de nombreuses associations étudiantes l’automne dernier. La grève est-elle évitable? Par le passé, aucun gain n’a été fait dans le mouvement étudiant sans un mouvement de grève massif. Parmi les cas les plus récents et qui concernent directement la campagne en cours, on peut mentionner l’obtention d’une compensation pour l’internat en psychologie, obtenue à l’aboutissement de trois mois de grève des internes. La grève demeure le levier le plus efficace pour faire pression sur le gouvernement. Et si elle est bien orchestrée et respectée massivement par les stagiaires, on peut même espérer qu’elle sera courte.

J’ai entendu dire que les heures de stage débrayées devaient être reprises et que les stagiaires allaient échouer si elles refusaient de les reprendre...est-ce que c’est vrai?

Dans tous les programmes, les stagiaires qui ont fait la grève se sont fait servir le même avertissement par les directions: vous devrez reprendre les heures de stages manquées. Peu importe la formation, on indique que les normes fixées sont strictes et que la non atteinte d’un nombre d’heures précis compromettrait la diplomation. Pourtant, les normes diffèrent souvent d’une institution d’enseignement à l’autre. En enseignement, par exemple, le nombre d’heures de stage varie entre 700 et 1000 heures, selon les disciplines et les universités. Il n’est pas rare non plus que des journées de stage soient annulées à cause d’une tempête de neige ou d’une journée de maladie, sans qu’elles ne soient reprises.

Les administrations ont donc une certaine marge de manoeuvre en ce qui concerne le nombre d’heures de stage et ce sont elles qui sanctionnent les études. Les différents ordres professionnels ou le Ministère de l’Éducation vont ensuite octroyer les brevets et permis selon les recommandations des institutions scolaires. L’exemple le plus patent de cette marge de manoeuvre est sans contredit le lock-out imposé par l’administration de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) pendant le conflit qui l’opposait aux professeur.es à l’automne 2018. Pendant trois semaines, toutes les activités d’enseignement, stages inclus, ont été annulées par l’université. Pourtant, les stagiaires n’ont pas eu à reprendre les journées de stage manquées! Cela ne veut pas dire qu’il faut prendre pour acquise la non-reprise des heures de stage. En effet, les modalités de retour en classe et en stage feront partie des négociations de fin de grève. C’est sur le rapport de force, que nous allons établir par le mouvement de grève, que reposera les conséquences de la grève.

Est-ce que la grève peut me faire perdre la session ?

Encore une fois, l’issue d’une grève repose sur le rapport de force que les grévistes auront su établir face au gouvernement. D’où l’importance de s’y impliquer activement, notamment en participant aux piquets et conseils de grève. On peut toutefois s’appuyer sur les expériences passées pour affirmer qu’il est très peu probable qu’une session soit annulée à cause d’une grève. En 2012, le mouvement étudiant a connu la grève la plus longue et imposante de son histoire, s’échelonnant du 13 février au 7 septembre. Si des sessions ont été suspendues, aucune n’a à proprement dit été annulée. Dans le cas d’une grève des stages massivement respectée par les stagiaires, on peut imaginer qu’elle serait de courte durée étant donné son impact économique majeur. Pour les universités, les cégeps et le gouvernement, l’annulation d’une session n’est tout simplement pas envisageable: elle entraînerait des conséquences désastreuses, dont la gestion de doubles cohortes et l’impact économique du retard dans la diplomation des futur.es travailleur.ses. C’est sur cette impossibilité qu’il faut tabler pour établir le rapport de force face au gouvernement.

Mon milieu de stage est vraiment hostile à la grève, qu’est-ce que je peux faire ?

Un des défis de la grève des stages est de briser l’isolement des stagiaires. En effet, il peut être difficile d’affronter seul.e un milieu de stage hostile. Cette question illustre bien la situation de vulnérabilité dans laquelle se retrouvent les stagiaires. C’est pourquoi différentes initiatives ont été mises en place afin de collectiviser la grève des stages. Vous pouvez signer un avis de grève collectif qui sera ensuite envoyé aux administrations scolaires et aux différents milieux de stage afin d’expliquer les revendications et de visibiliser la participation massive à la grève. En faisant connaître votre milieu de stage, il sera aussi possible d’organiser des tournées et des piquets de grève symboliques avec d’autres stagiaires. Ces piquets sont l’occasion d’entrer en contact avec d’autres stagiaires et les travailleur.ses, afin de discuter de l’enjeu de la rémunération des stages et de justifier la pertinence de la grève. Finalement, il importe de parler avec vos collègues stagiaires, dans les séminaires, dans les cours, les comités de stagiaires et dans les rencontres des coalitions régionales ou des comités organisés sur les campus pour partager les difficultés rencontrées et adopter des stratégies pour y répondre collectivement.

Est-ce que le mouvement est en communication avec le gouvernement? Comment allons-nous répondre à ses offres?

Dès la première journée de grève de la semaine du 19 au 23 novembre dernier, le comité de liaison des coalitions régionales a été contacté par le cabinet du ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et une première rencontre a eu lieu, le 13 décembre 2018, avec des représentant.es du Ministère. Les informations transmises lors de cette rencontre ne laissent aucun doute par rapport aux intentions du gouvernement. Alors que nous exigeons un salaire pour les stagiaires, ses représentant.es parlent plutôt d’une compensation, tout en prétendant que l’un et l’autre sont des synonymes. Lorsque nous insistons sur le fait que tous les stages doivent être rémunérés, on nous rétorque qu’il est nécessaire de catégoriser les stages, laissant ainsi présager une division non seulement entre les stages, mais aussi entre les domaines et les niveaux d’étude.

Bien qu’aucune offre n’ait encore été proposée, il est important de spécifier que le rôle du comité de liaison n’est pas de répondre à de telles offres au nom du mouvement étudiant, mais bien de les recevoir et de les rendre publiques afin qu’elles soient discutées en assemblées générales et acceptées ou refusées par les étudiant.es en grève.